Accompagner le changement avec la méthode des 6 chapeaux
J’ai fait la connaissance de l’entreprise Rexor en y accompagnant ses équipes de projet sur des changements liés à l’amélioration des performances et du système d’information en production. Je suis admirative des démarches de management mises en œuvre dans cette société de 100 personnes. Je souhaite au travers de cet article communiquer son dynamisme & illustrer l’utilisation concrète d’un outil de prise de décision coopératif : « la méthode des 6 chapeaux ».
Interviewée : Valérie Robin, Directeur Général chez Rexor (Valérie)
Sophie : Valérie Robin, à quoi sert cette méthode des 6 chapeaux ?
Valérie : « C’est un outil qui peut amener au changement, mais avant c’est un outil d’aide à la décision. Le principe est que chaque personne du groupe va exprimer une vision en prenant chacun des chapeaux, ce qui va lui permettre de voir les choses différemment, sous les différents angles de vue, en dépassant ses « à priori ». Les personnes vont pouvoir comprendre l’opinion des autres, ce qui permet de mieux accepter le changement. »
Sophie : Quand utilisez-vous cette méthode ?
Valérie : « Je l’utilise quand il y a une décision à prendre et que les gens ne sont pas d’accord. Par exemple, il y a quelques années, nous avons dû statuer sur le fait de garder ou pas une vielle machine. Une partie des gens était « pour » et une partie était « contre ». Aujourd'hui, en ce qui concerne notre projet de changement de supervision, une partie des personnes veut travailler avec un fournisseur, et l’autre partie avec l’autre fournisseur. A un moment donné, il faut pouvoir choisir, donc nous utilisons la méthode des 6 chapeaux pour débloquer la situation. »
Sophie : Comment déroulez-vous la méthode ?
Valérie : « Le plus important est de poser « LA » bonne question au départ. C’est souvent une question fermée (à laquelle on répond par oui ou non). Par exemple « Doit-on démonter la laqueuse 4 » ? Oui ou Non ? Ceux qui sont « pour » la démonter seront l’avocat de l’ange. Ceux qui sont « contre » la démonter seront l’avocat du diable. Si c’est une question ouverte, les gens changent de référentiel à chaque fois, et ça ne marche pas.
« Vous passez successivement chacun des chapeaux en prévenant à chaque fois :« là nous sommes en mode chapeau blanc, donc nous allons énoncer uniquement que des faits : un prix, un coût, une productivité ». Si quelqu’un dit « ça ne marche pas », il faut ramener aux faits : « ça ne marche pas combien de jours par semaine? Combien de pannes par mois ? ». On est que sur du factuel avec aucun jugement à chaque fois. Si quelqu’un dérive et énonce autre chose, on peut lui, dire « oui, c’est important, mais ce n’est pas du chapeau blanc, on va y revenir après sur le chapeau noir ». Ça oblige à se mettre dans un mode de pensée très orienté. Le plus difficile est de demander la position contraire à ce qu’ils pensent. Celui qui joue le beau rôle a la position de l’ange (d’où l’importance de poser la question dans le bon sens). L’avocat du diable a « le mauvais rôle ». Pour quelqu’un qui n’est pas capable de jouer le rôle opposé à son opinion, la phrase fétiche est « tu as été excellent dans l’avocat de l’ange, tu ne peux pas ne pas être aussi bon dans l’avocat du diable ». Et les personnes jouent honnêtement l’avis opposé au leur. »
« A chaque changement de chapeau, on énonce ce qui sera fait dans ce mode. Pour chaque mode, chaque personne parle à son tour, la liste des arguments se complète au fur à mesure. »
Sophie : Quels sont les avantages et les inconvénients ?
Valérie : « Les avantages sont multiples :
- Chacun, à son tour, au travers des différents chapeaux, a l’opportunité de s’exprimer.
- C’est un outil qui permet de faire travailler plusieurs personnes en même temps dans un groupe.
- C’est la seule méthode, que je connaisse, qui prend en compte l’émotionnel et permet de dire « je ne le sens pas ». Mon expérience est que de pouvoir décider avec son ventre, ses tripes amène du succès. C’est ce qui s’est passé en 1997 quand nous avons eu la possibilité de fabriquer le film pour les lunettes utilisées pour regarder l’éclipse, et que mon directeur général m’a dit « si ça vous amuse et si vous avez le temps, allez-y ! ». Les résultats financiers ont été très bons pour une décision prise très rapidement en suivant mon élan. »
« L’inconvénient c’est qu’on ne peut pas prévoir à l’avance ce que ça va donner. Donc si on est déjà sur quelque chose de préconçu ça ne peut pas fonctionner. L’idée n’étant pas d’arriver à la conclusion qui vous fait plaisir. La conclusion va émerger du groupe et des propositions non envisagées peuvent naître. Il faut aussi prendre en compte que la réunion va durer au moins deux heures, et qu’elle ne peut se couper en deux. »
Sophie : Est-ce un vrai consensus ?
Valérie : « Non car certains ne changeront pas d’avis. Tout le monde ne sera pas nécessairement d’accord, mais la conclusion est celle du groupe. »
Sophie : Quels sont les participants à la réunion. ?
Valérie : « Les personnes qui vont être impactées par la décision et si c’est un groupe trop important de personnes, on choisit des pairs qui sont légitimes dans le fait de porter la voix des autres. Un pair est un expert du domaine reconnu, qui s’il prend une position, il la prend au nom de tout le groupe. Tous ses pairs respecteront sa décision car il fait partie du même groupe (les enducteurs, par exemple) et que c’est un expert reconnu. On fait attention à ce que la personne autour de la table soit représentative de son groupe. Il faut bien que toutes les parties prenantes soient représentées pour qu’il y ait un échange. Si on a oublié quelqu’un, que l’on prend une décision et que la personne n’a pas participé, elle va la refuser. Le choix des personnes que l’on met autour de la table est donc essentiel. »
Sophie : Quelles recommandations auriez-vous pour une organisation qui souhaite se lancer dans cette méthode ?
Valérie : « Bien comprendre comment ça fonctionne. S’entrainer avant à blanc pour soi-même. Si possible suivre une formation 6 chapeaux ou participer en tant qu’acteur avant d’en être l’animateur et être garant du processus. Mon truc, c’est de me servir d’un power point. Je m’appuis dessus pour rappeler comment ça fonctionne, dans quel chapeau nous sommes. Ensuite, il faut arriver à être en vigilance par rapport à ce qui se passe : il faut que chacun puisse s’exprimer, aller chercher ceux qui s’expriment le moins facilement, pour qui ce n’est pas un exercice simple. La majorité des personnes ne l’ont jamais fait avant. Il s’agit d’expliquer, de mettre en confiance, et d’encourager. Le mieux est d’essayer, de se lancer. Il est possible d’anticiper au préalable ce que nous dirions personnellement sous chacun des chapeaux, se mettre dans la position difficile pour comprendre que ça l’est, et là de faire accoucher les gens dans ce qu’ils ont à dire, dans une position qui n’est pas celle qu’ils choisissent. La difficulté est là ! Quand les gens sont pour, c’est facile ! Le fait de préparer ses propres arguments, permet d’alimenter les idées si les personnes sont à cours et ainsi d’être plus exhaustif. ».
« Le rôle de l’animateur est très important pour gérer et inviter les personnes à utiliser tous les chapeaux et les obliger à ne pas camper sur leurs positions. Si vous demandez à une personne de faire l’avocat de l’ange alors qu’il était avant la réunion dans le rôle de l’avocat du diable (contre), il peut arriver que des gens disent « non, je ne peux pas ». Ils ne peuvent pas défendre cette position-là. »
« Mon apport à la méthode est de finir par un chapeau rouge, celui de l’émotion. Dans le déroulement habituel, comme on aborde le rouge après le blanc, certains disent d’emblée, « je suis contre » parce que leurs tripes leur ont dit « je suis contre ». Après avoir assisté aux 2h de réunion, finir par un rouge permet de modérer les propos & certains disent « je suis contre mais je comprends mieux » ou « je le sens ».
Sophie : Comment faites-vous la synthèse des différentes opinions ?
Valérie : « Je note les arguments au fur à mesure directement sur le powerpoint afin de ne pas perdre de temps à faire le compte rendu plus tard à partir de notes. Dans la réunion, il y aura des « pour » et des « contre » et tout est défendable. Ce qui est important c’est que chacun entende les positions des autres. Les personnes se rendent compte des façons de faire de leurs collègues et prennent connaissance de leurs contraintes. »
Sophie : Comment la décision est-elle prise et par qui ?
Valérie : « L’intention est que la décision la plus adaptée à l’entreprise et aux collaborateurs soit prise.
A la fin de la réunion, on aboutit sur un plan d’action qui peut aboutir à la nécessité de collecter des éléments supplémentaires : mesures complémentaires, visites … avant de faire une deuxième réunion avant de statuer et le plus souvent, même si nous n’avons pas systématiquement l’unanimité, les gens comprennent mieux les décisions. »
« La décision peut émerger naturellement, et il n’y a pas nécessairement le consensus de toutes les personnes à la fin mais il y a une meilleure acceptation. »
Sophie : L’acceptation de la décision est facilitée par l’apport d’éléments factuels qui rendent les solutions plus évidentes, la compréhension du point de vue des différentes personnes du groupe, la possibilité donnée à chacun de s’exprimer et d’être entendu.
Sophie : Y a –t-il un lien entre l’utilisation de cette méthode et votre engagement dans la RSE?
Valérie : « Rexor a développé une vision RSE. Nous aspirons à un management Innovant, Rentable & Responsable. Responsable, signifie que chacun a sa part de responsabilité dans ce qu'il apporte au groupe lors de la réunion ». Etre responsable, c’est donc s’exprimer, donner son avis au moment où il est opportun de le faire.
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